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la Légende du Pierrier de Dzerjonna

Extrait du livre du souvenir de Jean-Pierre Michelet

Pierrier de DzerjonnaA Nendaz, comme dans toutes les communes rurales du Valais d’autrefois, la culture des champs était bien plus importante qu’aujourd’hui. C’était le temps où la miche blanche était à la table du paysan un luxe inadmissible, où les magasins extrêmement rares ne vendaient qu’un peu de sel ou de tabac. Chacun subvenait à ses propres besoins et l’habillement, en bon drap du pays, hiver comme été, sortait des mains des habiles tisserands de la vallée.

Haute-Nendaz: un plateau à la plantureuse végétation; le village d’abord, aux maisons brunes enfouies sous les arbres, puis ses trois mamelons vers lesquels tendent les ramifications de l’immense plateau de champs prodigieusement fertiles, semés en céréales ou plantés de pommes de terre ou de fèves.

Les paysans aisés nourrissaient une multitude de pauvres en haillons, qui faisaient à époques à peu près régulières la tournée d’aumône, de porte en porte. Il leur était distribué, à certains jours fixes, ou aux repas funèbres dans les familles riches, la soupe des pauvres, aux fèves, aux pommes de terre et au gruau d’orge.

Et le Père du Ciel devait bénir cette charité des braves paysans, car les années étaient rarement mauvaises et les moissons riches à souhait.
La prospérité fait des jaloux; le démon supporte de mauvaise grâce la vue de bonnes oeuvres et le coeur lui saignait à constater l’esprit de charité qui régnait au paisible village.

Dans leurs conseils infernaux, les esprits du mal se concertèrent. Il fallait empêcher les paysans de continuer leurs aumônes, car cela les éloignait d’eux, et l’enfer, à leur gré, ne se peuplait pas assez vite.
Le plus rusé, sans doute, de la cour démoniale proposa de frapper les paysans dans leur prospérité: il fallait détruire ces beaux champs qui faisaient leur orgueil et leur fournissaient le pain de l’aumône.

N’y avait-il pas là-haut le Scex, dont la roche calcaire très facilement pourrait se désagréger et les débris serviraient à recouvrir les champs des Râches, les plus beaux de tous? Quelle tâche!

Un jour donc, les diablats se réunirent pour l’oeuvre entreprise. Ils étaient légion. Ils montèrent vers le grand Scex, préparèrent un pierrier formidable, de gros blocs calcaires, qu’ils mirent en marche vers les magnifiques champs de Haute-Nendaz. Ce ne devait pas être commode d’exécuter un tel transport et le bruit des cailloux roulants alarma la bonne population du village.

Les hommes, à la foi naïve, avaient de ces intuitions: sans trop
comprendre ce tintamarre, les paysans devinèrent l’imminence d’un grand danger. «Il faut sonner la Metsotta (cloche Saint-Michel)» dirent-ils, car Michel est le patron du village.

Dès que la cloche eut envoyé aux échos de la montagne ses volées argentines, les diablats là-haut se sentirent dérangés dans leur travail qui avançait lentement. Ils s’arrêtèrent.

«Tirez!» criaient ceux qui manoeuvraient à l’arrière de la terrible avalanche. «Poussez donc!» ricanaient les autres attelés à l’avant. Et tous s’épuisant en efforts surhumains, c’est le cas de le dire!

Mais rien n’avançait plus. - Tirez! - Poussez! -Nous ne pouvons! La Metsotta sonne! Hurlèrent enfin les chefs de l’infernale délégation, écumant d’impuissante rage.

Et voilà pourquoi le pierrier est là encore, au milieu de la forêt de sapins noirs qui couronne les mayens de Pracondu, la trouant d’une clairière où se joue en été la clarté des soleils lumineux.
Saint Michel, en généreux patron du village, avait protégé la campagne de Haute-Nendaz. Mais l’imagination populaire a peuplé d’invisibles ennemis le «lapey de Dzerjonna». On y entend parfois des plaintes mystérieuses et lugubres; c’est probablement quelque diablat estropié dans la grande manoeuvre et resté sous les décombres, pleurant son éternelle douleur. D’aucuns y ont vu de redoutables reptiles, des serpents à têtes multiples, et autrefois la «Vouivre» se reposait là dans ses longues courses du lac des Vaux au glacier du Grand-Désert, en passant, la nuit, toute enflammée, sur les mayens de Nendaz.


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